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Depuis le début de la crise du Coronavirus, un groupe de psychologues issus du monde universitaire et d'organisations professionnelles se sont réunis au sein d'un groupe de travail ad hoc "Psychologie & Corona" afin de mettre à profit leur expertise pour faire face aux grands défis sociétaux posés par la pandémie. L'un de ces défis consiste à accompagner un effort soutenu et à long terme de la population pour adapter son comportement. Une série de rapports ont été publié qui font état de résultats de recherche et de recommandations

Dans ce rapport, nous avons rassemblé les "choses à faire et à ne pas faire" les plus importantes du point de vue des sciences du comportement, avec la conviction qu'une mise en œuvre appropriée de ces recommandations contribuera à la réalisation d'un triple objectif : 

1. Un meilleur contrôle de la propagation du virus;

2. Une réduction des dommages économiques;

3. Une plus grande implication et une meilleure santé mentale de la population .

Rapport 5: Rapport de synthèse

Recommandation 1 : Fournir un modèle mental clair

Un modèle mental est une représentation schématique des connaissances sur un sujet, qui aide à réfléchir sur ce sujet, à se souvenir d’éléments, à prendre des décisions et à faire des prédictions. Un modèle mental simple et clair a l'avantage de pouvoir être activé rapidement. Il constitue donc un point de repère important pour le comportement. 

 

  • Il est important de connaître avec précision le virus, ce qui inclut les comportements nécessaires pour contenir sa propagation et la stratégie à suivre pour éviter une nouvelle vague d'infections (par exemple, il est important de préciser que le "testing & tracing" est un élément essentiel de la stratégie suivie).   

  • Afin d'arriver à un modèle mental clair, il est important que les connaissances soient présentées de manière simple, de préférence sous forme graphique. L'utilisation de visuels et de représentations graphiques claires est donc fortement recommandée en termes de transfert de connaissances. 

  • Note complémentaire : on estime que 10 % de la population souffre d'un faible niveau de connaissances en matière de santé. Ces personnes sont insuffisamment touchées par les principaux canaux d'information - journaux, télévision - et n'ont pas les compétences nécessaires pour comprendre et appliquer les informations concernant la santé. Elles doivent donc être interpellées par d'autres canaux et de manière appropriée. 

Recommandation 2: Établir des principes de comportements simples et clairs dans un cadre logique

Il faut s’éloigner d'une politique centrée sur les règles et d'investir autant que possible dans des principes en termes de changements comportementaux.

Ces principes comportementaux répondent aux conditions suivantes :

 

  • S’assurer qu'ils sont généralement considérés comme porteurs de sens. La simplicité et l'uniformité sont subordonnées à l'utilité : une règle perçue comme illogique, même si elle est simple et claire, reste illogique. Plus la compréhension de la mesure est élevée, plus les effets de motivation seront durables.

  • Communiquer un classement du degré d'efficacité des moyens de la lutte contre l'infection virale. Ainsi, la population peut réfléchir et faire des choix appropriés. 

A titre d’exemple on pourrait recevoir le classement suivant : 1. garder une distance inter-personnelle ; 2. limiter le nombre de contacts proches ; 3. Porter un masque lorsque la distance ne peut être maintenue suffisamment ; 4. Veiller à l’hygiène des mains, de la toux, des éternuements.

  • En raison de la nécessité de limiter le nombre de contacts proches, le concept de bulle est bien établi. Cependant, la taille exigée de la bulle est rigide, difficilement applicable et non contrôlable. En outre, le concept de bulle est mis en pratique de manières très différentes. La « fermeté » de la bulle étant plus importante que sa taille, un nombre avec certaines limites  est plus informatif (par exemple entre 5 et 10 personnes). Cela donne aux gens de l'autonomie en fonction de leur situation personnelle. Il est essentiel d'informer la population, par des scénarios de simulation (voir ci-dessous), sur l'évolution de la courbe d'infection si l'on s'en tient à cinq ou à dix contacts. Cela stimule la réflexion et, à partir de là, la motivation et la responsabilité sur une base volontaire.   

  • S'appuyer sur les sciences de la communication pour traduire les connaissances et les messages (Brossard et al., 2020). Il s'agit notamment d'éviter les éléments négatifs (comme montrer un comportement indésirable ou être fataliste) ainsi que de stimuler les résultats souhaités (comme faire appel à l'intérêt public, utiliser des personnes de confiance, utiliser l'estimation des profits plutôt que des pertes (c'est-à-dire mettre l'accent sur ce que l'on peut gagner plutôt que sur ce que l'on peut perdre en faisant quelque chose), faire appel au sentiment d’appartenance de la population ("des gens comme nous", etc.)  

  • Veiller à ce que ces principes comportementaux soient présents partout et répétés (médias, etc...) avec un design attrayant (visuels, etc...).

Recommandation 3: Rendre l'approche de la crise aussi prévisible et contrôlable que possible

Les événements vécus comme imprévisibles et incontrôlables sont aversifs et stressants. Ce qui nuit à la résilience et donc à la motivation et à l'engagement à maintenir des règles de conduite. C'est un besoin fondamental pour les gens de pouvoir penser et planifier, au moins à court terme. En rendant l'approche prévisible et contrôlable, le sentiment de compétence et d'autonomie est renforcé. Lorsque des efforts importants sont requis, il est également nécessaire d'avoir un retour d'information clair sur les résultats de ces efforts. Cela soutient la motivation et la volonté de persévérer. Tous ces éléments peuvent être réalisés de la manière suivante : 

  • Mettre en place un système de signaux clignotants ou de codage des couleurs (vert, jaune, orange, rouge) qui permet de savoir facilement où nous nous situons, dans quelle direction nous évoluons, où nous voulons aller exactement (<50 infections par jour ? Une certaine valeur R ?), quels sont les critères pour passer d'un code de couleur à un autre.

  • En collaboration avec les experts, il faudrait déterminer les valeurs seuils pour le système des signaux clignotants ou de codage des couleurs. Communiquer clairement à l'avance les mesures/principes qui entrent en vigueur lorsqu'une valeur seuil est dépassée. A l’inverse, il serait immédiatement évident qu’en dessous du seuil, les mesures peuvent être à nouveau assouplies. Cette valeur seuil doit être déterminée de manière à ce que la population ait effectivement la possibilité d'éviter la valeur seuil suivante par son comportement. Ce "contrat social" renforce l'autonomie et le sentiment de prévisibilité et de contrôlabilité.

  • Proposer un outil permettant aux personnes d'évaluer et d'ajuster leur propre comportement en matière de coronavirus (par analogie avec l’empreinte carbone, il s’agit de pouvoir calculer son empreinte coronavirus personnelle) ;

  • Proposer des outils permettant de simuler des scénarios (par exemple, les effets de la taille des bulles, de la distance, ou du port d'un masque sur mes risques de contamination) 

  • Diffuser non seulement des graphiques qui montreraient où nous en serions grâce à nos efforts (pronostic), mais aussi des graphiques qui montreraient où nous en serions sans faire les efforts nécessaires. La différence de pronostic entre les deux indiqueraient directement les gains à réaliser grâce à nos efforts.

Recommandation 4: Soutenir sur les principes de la communication motivationnelle

Les principes de la communication motivationnelle permettent à la population de s'identifier aux règles de conduite afin de rester durablement motivée (voir l'article d'opinion et le rapport pour plus d'informations). Une motivation durable nécessite une : 

  • Participation. Par exemple, la population peut aider à choisir un nouveau slogan. On peut tester le soutien de secteurs ou de groupes cibles pour l'adaptation des mesures.

  • Bonne coordination. Par exemple, donner une explication qui fait sens d'une mesure, qui est adaptée à la situation et au groupe cible ; choisir une formulation adaptée au groupe cible

  • Une attitude d'accompagnement. Par exemple, souligner l'engagement toujours plus grand des citoyens à atteindre l'objectif ; fournir de bons exemples sur lesquels les citoyens peuvent s’appuyer s'ils sont tentés d’enfreindre les mesures (cf. scénario d'adaptation).

  • Clarification continue. Par exemple, communiquer de manière claire et uniforme sur les nouvelles mesures ; indiquer clairement l'objectif que nous visons dans les chiffres et quels sont les objectifs intermédiaires.  

Recommandation 5 : S'engager dans un vaste projet socialement soutenu avec un objectif commun à poursuivre (garder le virus sous contrôle et maintenir la vie aussi vivable que possible).

Les êtres humains sont des êtres sociaux qui recherchent les relations, particulièrement en situation difficile (voir par exemple les moments d'applaudissements spontanés pour le secteur des soins, la fabrication en groupe de masques, etc.). Ces exemples sont motivants. L'expérience du soutien social est également importante pour la résilience et la santé mentale. 

Nous recommandons de : 

  • Déployer des modèles sociaux via différents canaux (influenceurs via les médias sociaux, belges connus issus du domaine sportif et du divertissement, ...) dans lesquels ils démontrent leur engagement, mais aussi leurs difficultés à suivre certaines mesures, leur façon de vivre en cette période de coronavirus, etc.

  • Créer un réseau de personnalités locales issues des différents groupes de notre société qui peuvent être rapidement sollicitées à ce niveau (par exemple, direction de mouvements de jeunesse, entraîneurs sportifs, personnalités religieuses ou socioculturelles, associations locales de commerçants, etc.)

  • Créer une rubrique régulière, par exemple "la chronique coronavirus" après le journal télévisé, dans laquelle toutes sortes de sujets pertinents sont abordés de manière ludique (par exemple par le biais de scénarios qui montrent comment gérer une invitation inattendue), un concours pour trouver un nouveau slogan pour une campagne de sensibilisation, des interviews de gens ordinaires qui expliquent comment ils luttent contre les problèmes et continuent ils trouvent des solutions créatives face à de nouveaux problèmes. Un programme régulier, amusant et convivial peut être un contrepoids important au manque de liberté et aux difficultés quotidiennes.   

  • Mobiliser le secteur culturel qui est idéalement adapté pour concevoir et mettre en œuvre des initiatives créatives socialement contraignantes via les médias (en ligne) (par exemple en soumettant des propositions à un « fonds corona » qui fournirait les ressources financières).

  • Mobiliser le secteur de l'événementiel pour permettre aux projets culturels de se poursuivre.

Recommandation 6: Prévoir de la flexibilité en fonction des lieux géographiques et aux groupes cibles

  • Dans la mesure du possible, les recommandations ci-dessus doivent être adaptées et déployées en fonction de la situation dans une zone géographique spécifique (villes, provinces, etc.) par le biais de méthodes participatives

  • Il en va de même pour les sous-groupes facilement définissables, dans la mesure où ils peuvent être justifiés par des données virologiques. 

    1. Les jeunes à l'école

    2. Les personnes isolées/célibataires

    3. Les personnes âgés

    4. ….

Recommandation 7 : Utiliser les principes du "nudging"

Dans une large mesure, nos comportements sont automatiquement déclenché, sans que nous y pensions de façon consciente. Penser l'environnement de manière à ce que des "signaux" soient donnés au moment et à l'endroit où le comportement souhaité doit être établi et/ou le comportement non souhaité doit être évité, peut aider les gens à contribuer à garder la propagation du virus sous contrôle. 

Quelques exemples de "nudging" :

  • Susciter le lavage des mains en présentant des gels hydroalcooliques dans les endroits critiques (entrée de bâtiments publics, écoles, restaurants, musées, salles de sport, …).

  • Faciliter le maintien de la distance sociale en adaptant l'environnement physique (par exemple cercles pré-définis sur lesquels les gens se placent dans une file d’attente)

  • Inviter à l'utilisation de masques en les rendant disponibles autant que possible dans les endroits critiques et en plaçant des signaux visibles demandant leur utilisation.

  • Inviter à limiter les contacts fréquents par des réglementations faciles pour le travail à domicile, les spectacles culturels en ligne, etc.

Recommandation 8 : Surveiller systématiquement les déterminants comportementaux et le comportement de la population au moyen de sondages représentatifs

Tout comme il est important de surveiller la propagation du virus de manière suffisamment détaillée, il est important de mesurer les déterminants comportementaux, la nature et le degré de motivation et le comportement lié au coronavirus lui-même, par rapport à un échantillon représentatif de la population et en accordant une attention suffisante à des groupes cibles spécifiques. Le comportement précède la propagation des infections de 1 à 2 semaines et constitue donc une excellente base de gestion et d'adaptation. Ces données permettent également de clarifier le bilan coûts-bénéfices pour la population : les coûts psychologiques et économiques personnels des mesures de limitation des comportements sont-ils en rapport avec l’amélioration de la santé et de la sécurité sanitaire? La mise à jour régulière des processus de motivation et des comportements pertinents pour éviter la propagation du coronavirus permet ainsi d'identifier des "tournants psychologiques", c’est à dire des moments où les bénéfices perçus ne justifient plus les coûts encourus pour la population.

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