Le bien-être au temps du coronavirus :
au-delà des “recettes psychologiques”
Ce deuxième arrêt lié au virus est une épreuve pour la santé mentale de beaucoup d'entre nous. L'été dernier, nous avons eu moins de temps que les autres années pour reconstituer nos réserves énergétiques, l'incertitude de ces dernières semaines a été fatigante et les mesures supplémentaires de réduction des risques ont accentué la pression sur notre bien-être. Relayés par les médias, les psychologues se questionnent sur la meilleure façon de garder le moral. Mais y a-t-il des règles générales à énoncer à ce sujet ? Alors que l’un va essayer une nouvelle recette, un autre va tirer son énergie d'une promenade l'après-midi, tandis qu'un troisième va se divertir dans la découverte de nouveaux jeux vidéos. Comment savoir quelles sont les activités qui améliorent notre bien-être ? Et comment une bonne politique de crise peut-elle soutenir le bien-être de la population ?
Besoins fondamentaux physiques et psychologiques
Sans nourriture ni boisson, nous mourons, et lorsque leur qualité est mauvaise, nous tombons malades. C'est pourquoi manger et boire sont les besoins fondamentaux de notre corps. Les psychologues cherchent depuis longtemps s'il existe des besoins psychologiques fondamentaux similaires. Il s'avère que c'est bien le cas : l’être humain a un besoin impérieux d'autonomie, de relations et de compétence. Cette théorie se confirme dès le plus jeune âge ! Le petit enfant fait rapidement savoir ce qu'il veut, a soif d’apprendre de nouvelles choses, il vient alors montrer ce dont il est capable et aime par ailleurs faire des câlins à ses parents. Lorsque ces trois besoins sont satisfaits, nous éprouvons non seulement des sentiments hédonistes de satisfaction, mais aussi une forme plus profonde de bien-être eudémonique. Nous nous sentons alors pleins d'énergie, notre vie a plus de sens et nous sommes plus forts pour affronter les problèmes. A l’inverse, si ces besoins ne sont pas satisfaits de façon importante ou pendant trop longtemps, nous devenons peu sûrs, tristes ou anxieux et notre sommeil perd en qualité. À maintes reprises, la recherche a montré que l'autonomie, les liens sociaux et la compétence sont à la santé mentale, ce que les aliments et les boissons sont à la santé physique, quel que soit l’âge.
Lorsque notre besoin d'autonomie est satisfait, nous faisons l'expérience positive du choix dans nos actions, nos pensées et nos sentiments. Sans autonomie, nous nous sentons incomplets et mis sous pression. Nous expérimentons la solidarité lorsqu'il existe un lien chaleureux et étroit avec les autres et le groupe auquel nous appartenons. Sans relation sociale, nous nous sentons exclus et seuls. La compétence demande à être développée et utilisée pour atteindre les objectifs souhaités. Lorsqu’elle fait défaut, le sentiment d’échec apparaît. Ces trois besoins sont l'ABC de notre bien-être : le A représente l'autonomie, le B les relations sociales et le C la compétence.
Il est clair que l'ABC de notre bien-être est sous pression en cette période du coronavirus! Les mesures limitent notre liberté de mouvement et de choix, et la règle de la distanciation sociale et de la limitation des contacts sociaux nous oblige à réinventer les liens, notamment du côté du numérique. Ce dernier point est particulièrement frustrant pour les jeunes qui ont besoin d’expérimenter le lien social avec leurs pairs. De même, en raison du ralentissement de l'activité économique, beaucoup ne peuvent plus mettre leurs compétences à profit et des objectifs importants de leur vie sont compromis. Le sentiment de compétence peut également être menacé par d’autres éléments du contexte actuel. Par exemple, les tensions croissantes avec les enfants menacent le sentiment de compétences parentales.
Règles de base en temps d’épidémie de coronavirus
L’enjeu est de trouver la dose quotidienne de “vitamines psychologiques” en cette période difficile. Cela varie beaucoup d'une personne à l'autre. Tout comme nous pouvons satisfaire notre faim avec des repas divers, nous pouvons aussi satisfaire nos besoins psychologiques de différentes manières. Néanmoins, il existe un certain nombre de règles empiriques mises en lumière par la "psychologie positive", un courant de la psychologie qui étudie les facteurs renforçant le sentiment de bien-être, le potentiel de croissance et la résilience.
Afin de répondre au besoin d'autonomie, nous devrions choisir des activités que nous trouvons nous-mêmes intéressantes et/ou utiles. Le sentiment de liberté intérieure émerge lorsque nous pratiquons un hobby, laissons libre court à la créativité, et aussi lorsque nous nous consacrons à des projets significatifs. C'est également le cas lorsque nous pouvons parler librement de nos préoccupations au lieu de devoir les cacher aux autres. Ces conversations sincères rencontrent en même temps notre besoin relationnel. Pratiquer des activités amusantes en famille ou avec des amis, dans la mesure du possible, permet d’entretenir des relations étroites et chaleureuses. Nous pouvons aussi nous sentir “en lien” en prenant soin des autres ou parce que nous nous sentons partie prenante d'un projet commun, comme peut l’être le combat contre le virus. Nous nourrissons également nos échanges sociaux par des actions de solidarité, du bénévolat ou des témoignages de gratitude.
Afin de répondre au besoin de compétence, il convient de choisir des activités pour lesquelles nous sommes qualifiés ou dont nous pouvons tirer des enseignements. Se fixer des objectifs réalisables, dans un contexte quotidien structuré, et tout en essayant de temps à autres de nouvelles choses, nous permettra de nous sentir compétents. Ce sentiment peut également émerger d’un rôle de soutien ou de mentor, simplement en étant à l'écoute des autres et en aidant là où nous en avons la possibilité.
Le principe du “sur mesure”
Bien que ces ABC soient les ingrédients essentiels du bien-être de chacun, il n'existe pas de recette “prête à l’emploi” et applicable par tout un chacun ! La presse place donc souvent les psychologues face à un dilemme difficile lorsqu'il leur est demandé de se positionner quant à la façon de préserver le bien-être en ces temps de crise. D'une part, s’attarder sur la théorie des besoins psychologiques fondamentaux est trop fastidieux; d'autre part, les exemples concrets sont souvent trop spécifiques.
Il est donc nécessaire de personnaliser cet ABC et les règles empiriques qui l'accompagnent afin de les adapter à chaque personne, en tenant compte du fait que ce qui donne des vitamines psychologiques à l’une ne le fait pas nécessairement à une autre. Cuisiner des beignets à la banane en famille constitue un défi motivant pour certaines personnes et une proposition presque ridicule pour d’autres! En outre, certains n'ont peut-être pas encore eu le courage ou les moyens de tenter l’expérience. Ainsi, chaque individu, chaque association, chaque communauté devra chercher sa propre voie pour satisfaire les besoins psychologiques fondamentaux en ces temps de coronavirus. Les personnes ayant des idées en commun constituent souvent les premières sources d’inspirations. Partager des exemples au sein des familles, des groupes ou de la société peut donc s’avérer très utile !
Un gouvernement bienveillant
La majorité de la population pourra supporter pendant un certain temps le manque actuel de gratification psychologique, mais les plus vulnérables d'entre nous se retrouveront bientôt en danger ou en réelle difficulté. Ce qui toucherait 15 à 25 % de la population. Il s'agit souvent de personnes dont les problèmes préexistaient à la crise, ou qui ont été particulièrement touchées par celle-ci. Parmi elles, certaines ne développeront des problèmes que plus tard.
Le gouvernement a donc un rôle à jouer à ce niveau de la gestion de la crise. Un faible niveau de circulation du virus donne déjà un plus grand sentiment de sécurité et offre davantage de possibilités de satisfaire notre ABC. De plus, un soutien économique suffisant peut atténuer les besoins financiers immédiats. En outre, il est aujourd'hui crucial de tendre activement la main à ceux qui sont en situation de fragilités ou difficultés psychologiques. Pour beaucoup, le seuil à franchir pour demander une aide spécifique est encore trop élevé. Des initiatives précieuses, telles que checkjezelf.be, les conseils de la croix-rouge et d’autres sites web contenant des informations psycho-éducatives sont utiles et des campagnes sont nécessaires pour les faire connaître plus largement, mais elles ne suffisent pas! Il existe une gamme gratuite d'outils thérapeutiques en ligne (e-santé mentale) et des guides d'inspiration sur la façon de traverser cette période de crise. Nombreux sont ceux qui auront besoin du soutien actif de professionnels pour répondre à leurs besoins fondamentaux quotidiens et maintenir ou rétablir leur bien-être mental. Un gouvernement qui porte attention à tous ces aspects est donc plus que jamais nécessaire !